J’ai joué la finale de l’Euro 84 contre l’Espagne. Je suis né en Espagne. Les Espagnols m’insultaient, me traitaient de Judas. Tous les joueurs qui étaient sur le terrain essayaient de me déstabiliser. Ils étaient remontés contre moi. Je jouais à fond, à 100 %. Je me disais, "mon pays, c’est la France, je suis heureux, je suis fier". » Comme le confessait Luis Fernandez sur RMC en décembre 2015, pour un binational, ce n’est jamais facile de jouer contre le pays de ses parents. En club, on connaît la haine, tenace, des « traîtres », des « vendus » à l’ennemi, tel Luis Figo visé par une tête de cochon au Camp Nou pour être passé du Barça au Real. Mais cette agression porcine demeure un cas extrême, étant donné la dimension identitaire, quasi nationale, du FC Barcelone (mes que un club), cette « armée désarmée de la Catalogne », selon Vázquez Montalbán.

En sélection, qui exalte l’honneur et la fierté de nations constituées, les allégeances plurielles réveillent des sentiments qui vont de l’orgueil froissé au rejet hystérique. Chez les Irlandais d’Irlande et de la diaspora, on déplore ainsi que les Kane, Grealish, Rice, Maguire ou Phillips, tous d’origine irlandaise, jouent pour l’Angleterre, autrefois marâtre de la verte Érin. Mais jusqu’à très récemment, aucune autre nation que l’Algérie n’a entretenu avec ses binationaux nés en France une relation aussi passionnelle, suspicieuse, exclusive.

Le harki, traître absolu

Un peu d’histoire, d’abord. L’Algérie indépendante est née en 1962, à l’issue d’un long conflit meurtrier contre le colonisateur français. Fait pratiquement unique, Kassaman, l’hymne algérien, est tourné contre un seul pays, la France : « Ô France ! Le temps des palabres est révolu / Nous l’avons clos comme on ferme un livre / Le verdict, notre révolution le rendra / Car...