Le philosophe a écrit sur beaucoup de sujets, mais pas vraiment sur le football, ce qui rend cette phrase d’autant plus précieuse. Elle est tirée d’un article pour France Football, publié au lendemain de son prix Nobel de Littérature, en 1957. Dans ce texte, déjà paru dans le bulletin du Racing universitaire algérois (RUA), Camus raconte son enfance passée à taper dans un ballon dans les rues algériennes. Les plus pressés font de cet aphorisme une lecture moralisatrice. Le football nous apprendrait les bonnes manières, à nous tenir droit, à obéir aux chefs et à devenir des enfants sages. Il faut lire la suite : Camus y dit exactement le contraire. Que nous enseigne le football qu’on ne nous enseigne nulle part ailleurs ?

« J’appris tout de suite, poursuit-il, qu’une balle ne vous arrivait jamais du côté que l’on croyait. Ça m’a servi dans l’existence et surtout dans la métropole où l’on n’est pas franc du collier. » Au RUA, le jeune Albert n’a pas appris qu’à dire merci ou bonjour aux petits chefs de passage.  « C’est pour cela que j’ai tant aimé mon équipe, pour la joie merveilleuse des victoires lorsqu’elle s’allie à la fatigue qui suit l’effort mais aussi pour cette stupide envie de pleurer des soirs de défaite » : en jouant au football, Camus a expérimenté, dans sa chair, tout en même temps la contingence, l’injustice, la colère et la joie. Ce qu’il appellera plus tard « son métier d’homme », la manière qu’on a, sur le terrain ou en tribune, de rejouer sans cesse l’absurde comédie de l’existence : on essaie, on rate, on essaie encore, on réussit, on recommence, on rate encore. L’école du football, c’est celle de la joie et de l’injustice.

Le football est moral. Mais au sens où l’entend...